mercredi 11 juin 2008

Coférence N°10 : Musique et Emotion

La musique et l'émotion à l'école : Quelle est sa spécificité, sa place et son rôle ?

Par
Alexandra PERISTERAKI
Musicienne et compositrice, enseignante à l'Ecole des Enfants et Adolescents Handicapés Mentaux d'Athènes
En congé de formation à Paris IV (Musicologie) et Paris V (Danse Thérapie)


Service Culturel d'Egypte
111 bd St-Michel 75005 Paris
Jeudi 19 juin 2008
à partir de 19h

À travers un regard qui tente d'explorer le sens de l'émotion musicale au sein des finalités européennes éducatives, la musique est-elle une proposition alternative qui concilie le monde émotionnel et affectif de l'élève avec les savoirs scolaires? Est-elle une réponse à l'identité pluraliste de l'école d'aujourd'hui? Est-elle une expérience différente des autres disciplines? Et si oui, par quelles voies l'émotion musicale peut-elle répondre à un tel enjeu?

Toute recherche dans le cadre de l'éducation publique semble contenir de multiples facettes: des restrictions dues à l'environnement institutionnel aux possibilités de s'adresser à des populations diverses, les questions soulevées sont à la lisière entre le social, l'individuel et le collectif. La spécificité de la musique en tant que discipline, mais aussi en tant qu'art et processus créatif, lui permet de s'inscrire à la fois dans les objectifs scolaires d'acquisition de connaissances et dans ceux qui permettent à chaque élève de se nourrir d'expériences émotionnelles et affectives.

Mais dans ce cas, quelle est la différence entre enseigner, transmettre ou encore faire de l'art?

Partant il y a 20 ans d'un terrain artistique pluridisciplinaire et avec des fonctions composites (enseignement dans des conservatoires et des écoles générales ou spéciales, participation ou collaborations dans de nombreux spectacles où se côtoient musique, théâtre et danse), le partage artistique et la dynamique potentielle de l'art à favoriser une ouverture à l'autre et à soi-même est mon hypothèse de départ. Plaisir, créativité, rituels artistiques ou encore apprentissage: où, comment, avec quels outils et pour quels résultats?

Par la corporéité de l'émotion et la relation intime du son au mouvement, par les frontières fragiles entre l'éducation et la prévention en santé psychique, l'apport de l'émotion par l'art dans la construction de l'enfant (Recherches à Paris IV) ainsi que les processus thérapeutiques de l'art (Formation à Paris V) seront les deux sources de cette présentation, qui tentera d'ouvrir une réflexion entre théorie et pratique, entre un terrain souvent difficile et une approche sensible de textes qui nous incitent à y re-penser.

Enrichir et s'enrichir, échanger ou proposer idées et expériences, l'objectif de cette conférence, répondre provisoirement aux problématiques soulevées, en partageant avec vous des recherches à Paris depuis 2 ans, ainsi que la volonté de "faire le mieux possible" en tant qu'artiste et pédagogue invité à transmettre à l'école ce qu'il aime et ce qu'il sait.

lundi 26 mai 2008

Conférence N°9 : Musique et Emotion

L’expérience émotionnelle chez le ‘ûdiste (luthiste) arabe contemporain
Idée compositionnelle et processus créatif

Par
Hamdi MAKHLOUF
'ûdiste, compositeur, interprète
Doctorant en musicologie à l'Université Paris IV-Sorbonne
Service Culturel d'Egypte
111 bd St-Michel 75005 Paris
Jeudi 05 juin 2008
à partir de 19h

Au cours de cette communication, nous mettrons en valeur le concept de « ‘ûd (luth arabe) de concert » à travers un ensemble de métamorphoses qu’il a subit notamment dans la deuxième moitié du 20ème siècle. La composition pour cet instrument et l’interprétation des œuvres jouent un rôle très important dans le processus créatif et l’élaboration stylistique d’une nouvelle tendance musicale instrumentale. Tirant son essence de la méditation musicale arabo-orientale et obéissant à une large marge de liberté dans l’interprétation, la musique du ‘ûd de concert s’est penchée sur d’autres paramètres musicaux, autres que l’élaboration mélodique et rythmiques, plutôt relatives au sonore : une recherche d’une certaine qualité acoustique à travers une certaine manière d’effleurement des cordes ; l’utilisation de plusieurs autres techniques de plectres et d’ornements ; etc …
Par ailleurs, face à la primauté du « verbe » et de la musique chantée de la tradition musicale arabe, les recherches au niveau des créations musicales instrumentales se sont tournées vers un processus compositionnel intentionnel. Entre la réalité et l’allégorie, un bon nombre de questions peuvent êtres posés autour de l’intention musicale instrumentale : quelles sont les limites de la contribution de l’intention à la compréhension de l’œuvre musicale du ‘ûd de concert ? quels sont les niveaux d’analyse qu’on peut aborder pour la mise en valeur d’un tel processus ? Peut-on parler d’une génération d’émotions à travers les intentions compositionnelles et créatives ?
La notion d'idée musicale semble acquérir une certaine pertinence dans la démarche créative du 'ûdiste compositeur. L’idée compositionnelle, sous forme d’un thème ou d’un court leitmotiv, peut se porter comme génératrice d’une suite d’événements musicaux répondant aussi bien à un principe de cohérence langagière (la musique comme projection mentale dans le passé et qui répond à une logique de causalité) qu’à une forme de tautologie qui fait que certains éléments de l’œuvre peuvent êtres indémontrables et relevants du domaine des caprices compositionnels. L’interférence socio-culturelle semble également avoir un rôle prépondérant dans l’appui de cette hypothèse. Quelques exemples musicaux seront proposés ; notamment ceux du trio Joubran.

lundi 12 mai 2008

Conférence N°8 : Musique et Emotion

Détermination des pertinences en ethnomusicologie cognitive

Par
Mondher AYARI
Chercheur à l'IRCAM et maître de conférence à l'Université Marc Bloch - Strasbourg

Service Culturel d'Egypte
111 bd St-Michel 75005 Paris
Jeudi 22 mai 2008
à partir de 19h



L'ethnomusicologie et la psychologie de la musique — disciplines habituellement indépendantes — seront ici amenées à une mise en commun pour comprendre l'influence de la culture sur les processus de la perception musicale. L'objectif fondamental de cette démarche est de se situer sur le terrain du cognitif qui est celui des stratégies, et de franchir un pas vers la pluridisciplinarité des approches en dépassant l'opposition (un peu forcée) entre la démarche formaliste et celle qui met au contraire l'accent sur les renvois extrinsèques, les renvois externes en général.

Mon hypothèse est qu'il convient de prendre l'exacte mesure de cette complexité de l'objet musique et rendre compte des processus qui sous-tendent les stratégies cognitives permettant aux divers groupes humains de produire ou de percevoir la musique. Il faut s'interroger sur la manière selon laquelle les auditeurs construisent la forme, ou au moins ce qu'ils perçoivent de la forme (ce qui est peut-être une nuance importante). L'une des questions essentielles qui se posent à « l'ethnomusicologie cognitive » est d'établir un lien permettant de relier, sur le plan perceptif, la théorie musicale ainsi reconstituée avec ce que pensent les musiciens eux-mêmes.

Mes travaux expérimentaux sur la perception des musiques modales improvisées tendent à participer à une prise en compte combinée des conditions de production et de réception du fait musical, pour une analyse de sa trace et pour une connaissance des processus cognitifs mise en oeuvre par sa pratique et son écoute. La question que je me pose, et pour laquelle, pour l'instant, la psychologie n'a pas de réponse catégorique est celle-ci : quelle est l'influence des contextes (dans lesquels les formes symboliques sont construites), des cultures et des codes sociaux sur la psychologie du développement musical de l'auditeur ? Je suis convaincu que dans la musique, et plus précisément dans les processus de l'écoute, il y a certains éléments qui relèvent du domaine de la Gestalt, et d'autres qui dépendent des stratégies selon lesquelles l'auditeur commence lui-même à sélectionner certains traits, organisations (...), et qui en fonction de sa conduite auditive et « musico-sociale » va donc donner forme et sens à la musique.

dimanche 13 avril 2008

Conférence N°7 : Musique et Emotion

Musique et Émotion : du ressenti à l’œuvre d’art


Par
Leticia CUEN
Compositrice, Docteur en musicologie de l'Université ParisIV-Sorbonne

Service Culturel d'Egypte
111 bd St-Michel 75005 Paris
Jeudi 17 avril 2008
à partir de 19h


Qu’est-ce que l’émotion ? sera la première question à laquelle nous essaierons de répondre, ce qui nous permettra de situer notre approche psychologique des émotions concernant tout ce qui fait que la musique éveille en nous des ressentis profonds, des réponses émotives, des résonances affectives conservées dans notre mémoire et liées à notre milieu.

Nous étudierons ensuite l’Ancrage et le développement de la relation musique-émotion. Allant de la vie intra-utérine à l’adolescence, nous présenterons le déploiement des différentes performances innées et des nouveaux acquis tout au long de la vie qui viennent corroborer non seulement l’expérience kinesthésique amodale fondée sur le cinétique et le sonore, mais aussi les processus concomitants et transmodaux, liés les uns aux autres et qui déterminent nos schémas d’être avec nous-mêmes et notre entourage.

Afin de comprendre la façon dont la musique éveille en nous des émotions, l’étude du Principe d’équivalence amodale du ressenti s’impose. Ce principe se décline à travers les concepts suivants : affects de vitalité, vecteurs dynamiques, schèmes de tension et de détente, schèmes d’ordre et schèmes de relation d’ordre, trame temporelle des ressentis, et accordage affectif. Ces concepts constituent les réalités psychiques qui donnent un sens à notre existence, vie intime et vie sociale confondues.

Si à présent, nous devons définir ce que nous entendons par Geste musical, c’est parce que la nature gestuelle de la musique fonde la relation musique-émotion : toute forme musicale, tout élément ou paramètre sonore s’articule dans le temps, se colore en degrés d’intensité et d’énergie, s’organise en trajectoires directionnelles, laissant émerger un sens à la fois cinétique et sonore, et une même intentionnalité gestuelle qui caractérise l’expression de la forme.

En s'appuyant sur des exemples, toutes ces théories doivent être étudiées à partir de la musique elle-même. C’est pour cela que nous proposons une partie pratique venant illustrer les notions ci-dessus à travers les Analyses musicales que nous avons réalisées et qui seront suivies par les Réponses des auditeurs au questionnaire que nous leur avons proposé sur la même musique : Chant « ouhla teichu » (pour le rituel des morts, du Paraguay) et “La niña duerme” (pièce pour piano de Joachim Ruvó).

Pour clore notre exposé, nous présenterons une réflexion sur la Psycho-philosophie de la musique. Cette approche du ressenti et de l’œuvre d’art laisse entrevoir une inquiétude profonde: celle de la compréhension de l’objet musical d'un point de vue créatif, celle du compositeur face à ses émotions, à ses ressentis, à sa mémoire et à la place qu’il s’accorde vis-à-vis de ses contemporains ; soit, pour résumer, à sa perception dont l’œuvre d’art est la matière de l’être d’un positionnement dans le Temps.

lundi 31 mars 2008

Conférence N°6 : Musique et Emotion

Vers la détermination des enjeux culturels et psychologiques au moment du « Tarab » :

Quel impact des traditions perceptives ?


Par
Zied ZOUARI
Violoniste, compositeur-interprète et doctorant en musicologie à Paris IV-Sorbonne.

Service Culturel d'Egypte
111 bd St-Michel 75005 Paris
Jeudi 03 avril 2008
à partir de 19h

Le tarab est un moment de satisfaction qui connote une forte appréciation d’un message musical à l’instant de son interprétation. Pour le musicien (émetteur) au même titre que pour l’auditeur (récepteur), le tarab forme un objectif pertinent dont l’aboutissement illustre le succès de l’interprète au moment où le public atteint le front de son agrément. Cependant, cette description du phénomène, devrait-elle tenir compte de certains éléments d’ordre culturel, psychologique en rapport avec la perception et la connotation de la musique en question. Les auditeurs, avec la diversité de leurs cultures et de leurs origines, auront-ils le même sentiment modal à la suite de l’écoute d’une même musique...

Il est à signaler que le tarab est un état d’âme dont l’obtention est directement liée à la charge émotionnelle requise par l’interprète et / ou son public. Cette charge émotionnelle s’alimente progressivement jusqu’à atteindre le sommet formant ainsi le moment de l’extase ou simplement le tarab. Afin d’assurer cette montée, l’émetteur articule des formules mélodico-rythmiques types et des ornements bien spécifiques tout en évaluant l’impact de son jeu sur le public. A ce stade, nous apporterons quelques précisions sur le phénomène du feed-back établi entre l’interprète et son public.

Cependant, peut-on aboutir au tarab au moment où l’interprète n’y a pas encore abouti ou inversement ? Si oui, quels sont les motifs d’un tel constat ? Est-ce un décalage cognitif ou un tarab à sens unique ?

Les traditions perceptives de chacun auront certainement un impact sur l’appréciation de la musique en question et décideront le plus souvent l’aboutissement ou non du tarab. Comment expliquer alors qu’un auditeur arabo-oriental peut parfaitement réagir en entendant pour la première fois un standard de musique turque ou persane ? Le standard écouté, n’appartenant pas pour autant à sa mémoire auditive, pourrait lui apporter un sentiment modal inattendu formant ainsi un champ favorable pour le tarab. S’agit-il de codes unidimensionnels entre la musique traditionnellement entendue et sa musique ? Faut-il en l’occurrence définir des critères psycho-culturels de ce qui peut mener au tarab avant de trancher sur un concept bien précis du phénomène ?

samedi 15 mars 2008

Conférence N°5 : Musique et Emotion

Approche méthodologique de l’interprétation de l’émotion dans les musiques de la tradition orale : le cas des chants pomaks

Par
Eftychia DROUTSA
Doctorante en ethnomusicologie à Paris IV-Sorbonne


Service Culturel d'Egypte
111 bd St-Michel 75005 Paris
Jeudi 20 mars 2008
à partir de 19h



La problématique qui sera soulevée dans la future présentation portera sur la question de la méthodologie et de l’approche cognitive que le chercheur adopte afin de déchiffrer les codes internes de l’interprète qui lui permettent d’aboutir à l’acte musical. Notre réflexion s’appuiera sur le chant des Pomaks et plus précisément sur deux moments clés de l’interprétation: le déclenchement et la continuité de l’acte vocal. Il s’agira d’une part de comprendre en quoi le facteur émotionnel permet la genèse d’un effort créatif et de quelle manière ceci est assuré par un prolongement sous-jacent. Par ailleurs, nous traiterons de la notion de la mémoire et du souvenir en tant qu’éléments du processus de l’intériorisation de du chant. Ceci permettra d’évaluer la contiguïté entre un espace intérieur dénoté par le psychisme et l’émotion et un espace extérieur conditionné par le temps et la durée. D’autre part, il s’agira de restituer le rôle de l’observateur et les méthodes dont il dispose afin de rendre de façon explicite le sens de l’acte musical lui-même. La question de méthodologie portera surtout sur la manière d’interpréter le non-explicite lié au facteur émotionnel, les risques de surinterprétation et les limites de la pertinence de l’objectivité.

mardi 26 février 2008

Conférence N°4 : Musique et Emotion

L’impact de l’évolution des formations orchestrales arabes sur la mutation des codes émotionnels de l’auditeur

Par
Wassim BEN CHAOUACHA
'ûdiste, compositeur, doctorant en musicologie à Paris IV-Sorbonne


Service Culturel d'Egypte
111 bd St-Michel 75005 Paris
Jeudi 06 mars 2008
à partir de 19h


Il est à savoir que l’évolution de l’interprétation dans la musique arabe au XXe siècle a été toujours liée à l’évolution du langage musical et, en grande partie, aux différentes phases d’évolution qu’a connu les formations musicales et entre autre les orchestres.

Le
takht, l’orchestre arabe, l’orchestre symphonique et l’orchestre hybride représentent les formations les plus répandues dans le monde arabe. Chaque orchestre a son propre code de fonctionnement interne, sa spécificité timbrale, liée à sa constitution instrumentale, et son répertoire. Les mélodistes, les compositeurs, les orchestrateurs et les musiciens ont expérimenté les possibilités techniques et esthétiques que peuvent donner ces formations.

L’hétérophonie est un principe fondamental dans l’interprétation musicale du
takht. Elle donne une liberté considérable au musicien qui peut ornementer à sa guise les phrasés mélodiques. Cet esprit de liberté qui souffle dans le takht, le partage total entre les musiciens, la connivence ludique avec le chanteur donne un incomparable cachet personnel à l’œuvre musicale. Une musique en effervescence qui se recrée à chaque représentation dans l’instant partagé avec le public. À l’orée des années 1930, la musique arabe a connu un tournant esthétique : c’est l’avènement des grands orchestres arabes pouvant compter une vingtaine de musiciens ou même plus. L’introduction de plusieurs instruments occidentaux et l’adoption progressive de la notation musicale ont un impact considérable sur l’exécution et l’interprétation du répertoire savant. En effet, le jeu d’orchestre est devenu bien unifié et l’improvisation est limitée aux interventions solo de quelques instrumentistes. L’interprétation des œuvres de la musique savante ou populaire de la première moitié du XXe s’est inéluctablement accommodée au fonctionnement de ce type d’orchestre. Avec l’avènement de l’orchestre arabe, la musique arabe a connu aussi l’arrivée de l’orchestre symphonique et de l’orchestre hybride. Depuis les années quarante, plusieurs générations de compositeurs arabes prônent l’universalisme de la musique arabe en créant des œuvres orchestrales arabes. Dans cette même orientation, certains orchestrateurs ont réécrit les chef-d’œuvres du répertoire traditionnel. Ces derniers ont essayé d’adapter l’écriture orchestrale occidentale aux particularités du langage musical arabe et surtout aux spécificités modales de la musique ara
be.

Nous avons devant nous une réalité qui se représente dans l’interprétation de diverses formations à la même œuvre musicale. L’auditeur arabe est confronté aujourd’hui à écouter la même œuvre non seulement avec de différentes formations mais aussi avec d’autres langages et d’autres timbres, ce qui n’est pas sans impact sur ses codes émotionnels liés à la perception visuelle et auditive de l’œuvre. Le tarab qui représente, à mon avis, le pic de l’extase, est-il lié au langage musical ou à la perception timbrale ? Quels sont les éléments émotionnels liés à chaque formation ? L’effet visuel de la masse orchestrale ne serait pas sans impact sur le code émotionnel avant le commencement même du concert ? La nouvelle interprétation du répertoire antérieur par chaque type d’orchestre changerait-elle l’émotionnel chez l’auditeur ? Quelle influence aurait la mémoire sur le code émotionnel ? Enfin, est-ce que cette diversité enrichit ou au contraire appauvrit les codes émotionnels de l’auditeur ?

mercredi 13 février 2008

Conférence N°3 : "Musique et Emotion"

Infinito nero, estasi in un atto, fragments de Sainte Marie Maddalena recomposés par Salvatore Sciarrino.

Pour un théâtre de l’écoute et de l’absence.


Par
Francesca GUERRASIO
Doctorante en musicologie à Paris IV-Sorbonne.
Rédactrice du quotidien de musique classique Res Musica.

Service Culturel d'Egypte
111 bd St-Michel 75005 Paris

Jeudi 21 février 2008
à partir de 19h

Notre proposition porte sur l’opéra de Salvatore Sciarrino Infinito nero, estasi in un atto[1] qui a pour sujet Maria Maddalena de’ Pazzi[2], mystique de Florence sanctifiée en 1669.

Le livret, de fragments de Le Parole dell’estasi de Sainte Marie Maddalena recomposés par le compositeur, reproduit la réalité environnante. Les sons filtrés par la conscience de la protagoniste ou par elle-même produits lors de son état de transe, d’exaltation ou de délire récréent à la fois le décor et l’action dramatique.

L’histoire raconte que quatre novices répétaient lentement tout ce que la sainte prononçait en vitesse et d’autres quatre notaient sur papier le résultat de ce dicté. La scission entre une énonciation « la plus rapide possible, comme une mitraillette » et le mutisme consécutif (dans lequel la sainte tombait après le flux verbale), la transition spontanée vers le silence, la théâtralité de l’histoire, constituent le matériau de départ pour le travail musical de Salvatore Sciarrino, qui retrouve dans cette « pathologie », les caractéristiques les plus particulières de sa musique et de sa conception d’ « écologie sonore[3] ». Le silence considéré en tant que berceau du son et expérience de vie.

Cet opéra, théâtre de l’écoute et de l’absence, de l’attente irrésolue ou déviée, représente la synthèse de la conception totalisante et gestuelle de la composition selon Salvatore Sciarrino. Sa musique, une construction mélodieuse dans l’infini de la mort qui se caractérise par un travail de soustraction du son jusqu’au silence acoustique illusoire (dans se variables spectrales).

Infinito nero révèle (malgré l’absence de toutes didascalies), la personnalité de Sainte Marie, qui rongée par la douleur, se démène : des gestes et des mouvements tels qu’elle semble se consommer. Le phénomène extatique est reproduit à l’aide de silences textuels, fidèlement transcrits par le novices.

Extrêmement accentué le coté clinique de l’extase : la logorrhée et sa nature ambiguë[4].

La violence des énonciations est reproduite selon un travail systématique de déconstruction et recomposition des actes verbaux en segments fantasmagoriques qui redéfinissent l’action et les lieux de l’histoire en termes de dramaturgie musicale. Glissements micro tonales rapides en double croches, groups irréguliers de notes et “messa di voce”, récréent l’illusion d’une multiplication illimitée de l’espace.

Paronomasies isophoniques et apophoniques, allitérations verbales, répétitions, syllabation intermittente, oxymores, violentes figurations vocales alternées à de nombreux soupirs font émerger l’enfance de la sainte tourmentée et difficile. Ses sentiments profonds de souffrance, de lourdeur et d’étouffement correspondent en dernière instance à ce que chacun de nous peut ressentir dans son existence.

Les impressions synesthésiques, l’absurdité de représenter l’irreprésentable, les différentes propriétés du silence, l’insistance sur les correspondances mots-couleurs, l’idée de concordance des contradictions (l’obscurité/la lumière, le noir/le blanc.), sont telles que le spectateur/auditeur transforme immédiatement en images et en sensations physiques les mots de l‘extase de Sainte Marie, comme dans une sorte d’audition colorée pathologique.

La nudité scénique évoquant un monde onirique et surréel desséché est la condition absolue pour un écoute écologique où la musique s’empare de l’auditeur.



[1] Salvatore Sciarrino, Infinito nero, Ricordi, Milano, 1998.

[2] Lucrezia de’ Pazzi (1566-1607) est le vrai nom de Maria Maddalena de’ Pazzi, sœur carmélitaine de clausure, sanctifiée par le Pope Clément IX le 22 avril 1669.

[3] La conception d’écologie sonore, renvoie à celle d’écologie acoustique (tout endroit naturel intéressant du point de vue acoustique) et de l’écologie de l’écoute. Il est nécessaire pour Sciarrino, de libérer l’oreille des « incrustations », « la réparer, la restaurer » de l’assourdissement puisque, plus qu’une mauvaise oreille, c’est le conditionnement qui rend l’esprit dur et fermé. « Nettoyer l’esprit » signifie faire le vide autour de nous et en nous même, faire sortir ce qu’on connaît pas ; chaque capacité de réception est une forme de capacité créative : percevoir est déjà laisser la place à nos propres sensations. L’espace, en tant que dimension mentale, peut être considéré comme l’espace réel. Salvatore Sciarrino, Carte da suono, Cidim, Novecento Editore, Palermo, 2001.

[4] Dans Le Parole dell’estasi, les visions célestes s’alternent à des suggestions démoniaques. « Alle visioni celesti si sostituirono presenze diaboliche, alla consolazione, aridità e terrori, alla fiduciosa certezza davanti alle visite del divino, dubbio e incredulità ». Maria Maddalena de’ Pazzi, Le Parole dell’estasi, Adelphi, 1984, II ed.


mardi 1 janvier 2008

Conférence N°2 : "Musique et Emotion"

La musique creuse le temps : une approche de l’émotion en musique

Par
Michel IMBERTY
Philosophe, Musicologue et Psychologue. Président Honoraire de l'Université de Paris X-Nanterre. Professeur et directeur de Psychomuse, Centre de Recherche en Psychologie et Musicologie Systématique

Service Culturel d'Egypte
111 bd St-Michel 75005 Paris

Jeudi 24 janvier 2008
à partir de 19h


Le problème dont je voudrais parler ici, est celui d’un paradoxe propre au XX° siècle : le rejet – apparent – dans les œuvres, de la continuité et de la linéarité de l’expérience du temps vécu et des émotions profondes qu’elle véhicule comme fondement psychologique de la musique en occident. Or nous savons aujourd’hui par la neurobiologie que la musique « nous est naturelle » - comme le disait Rameau – et qu’elle constitue l’expression artistique majeure de capacités humaines fondamentales à la communication et à l’interaction avec les autres. En particulier, il est possible d’émettre l’hypothèse que l’organisation cérébrale de la mémoire est de nature « narrative », c’est-à-dire basée sur une mise en ordre linéaire et directionnelle du temps et des événements qu’elle contient, et qu’elle peut à tout moment les dérouler sous forme de « proto-récits » faits d’images, de sensations, de souvenirs, d’émotions et de sentiments non encore verbalisés et parfois non verbalisables.

Or, nous sortons à peine de l’une des crises les plus profondes de notre langage musical : avec l’effondrement de la tonalité, la discontinuité du discours, la fragmentation du temps et de la durée en instants éparpillés et sans liens au sein de trames musicales détissées, caractérisent les œuvres les plus abouties du sérialisme et de ses dissidences, et donnent souvent l’impression que le compositeur, lui-même désemparé devant les exigences et les contradictions techniques, esthétiques, psychologiques et sociales de la création, n’a plus rien à communiquer ou exprimer, en sorte que l’œuvre, pur système combinatoire formel, ne fait plus sens ni pour lui ni pour son public. S’interroger sur la perte de ce sens que manifeste une sorte de « dé-narrativisation » du temps musical, revient à se poser sans doute les questions les plus récurrentes de la philosophie de l’après-guerre sur les rapports de l’homme avec lui-même au travers de la culture et de la société.

La psychanalyse en fin de compte pourra apparaître comme une clé de lecture possible de ces évolutions, et du retournement que l’on peut observer dans le dernier quart du XX° siècle où l’émotion revient en force en musique. Cette clé, nous la trouverons peut-être dans l’œuvre de Didier Anzieu et l’opposition entre Narcisse (le miroir visuel, l’espace) et Echo (le miroir sonore, la voix, le temps).

De nombreux compositeurs seront évoqués, parmi lesquels Wagner, Debussy, Schoenberg, Berio, Boulez.

ATERAMUC

Musique et Émotions

Les rapports de la musique avec les émotions humaines, tant débattus dans le cadre de plusieurs séminaires et conférences, semblent faire l'unanimité sur leur complexité et leur grande marge de confusion. L'étude de ces rapports fait appel à une interdisciplinarité conséquente qui, incessamment, tente de rendre compte de l'ampleur de ce domaine. Entre la philosophie, l'esthétique, la psychologie cognitive ou encore la musicologie, un certain nombre de questionnements se posent : comment peut-on approcher l'émotion musicale d'un point de vue méthodologique ? quels sont les liens que l'émotion musicale peuvent entretenir avec le domaine ou le concept de sens et de signification ? quels sont les enjeux psychologiques ou psycho-cognitifs qui peuvent être engendrés à travers l'élucidation de ces liens ? de quelles manières les émotions en musique se manifestent dans les différents contextes socio-culturels ? Il s'agit en l'occurrence d'esquisser la présente problématique sous plusieurs angles de recherche et de remettre à jour son état de question. Il s'agit également d'aborder une des questions les plus complexes relatives au domaine musical ; ce qui permettra d'atterrir sur ses principales difficultés et d'essayer d'aboutir à la décortication du phénomène concerné.

Hamdi Makhlouf
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