mardi 26 février 2008

Conférence N°4 : Musique et Emotion

L’impact de l’évolution des formations orchestrales arabes sur la mutation des codes émotionnels de l’auditeur

Par
Wassim BEN CHAOUACHA
'ûdiste, compositeur, doctorant en musicologie à Paris IV-Sorbonne


Service Culturel d'Egypte
111 bd St-Michel 75005 Paris
Jeudi 06 mars 2008
à partir de 19h


Il est à savoir que l’évolution de l’interprétation dans la musique arabe au XXe siècle a été toujours liée à l’évolution du langage musical et, en grande partie, aux différentes phases d’évolution qu’a connu les formations musicales et entre autre les orchestres.

Le
takht, l’orchestre arabe, l’orchestre symphonique et l’orchestre hybride représentent les formations les plus répandues dans le monde arabe. Chaque orchestre a son propre code de fonctionnement interne, sa spécificité timbrale, liée à sa constitution instrumentale, et son répertoire. Les mélodistes, les compositeurs, les orchestrateurs et les musiciens ont expérimenté les possibilités techniques et esthétiques que peuvent donner ces formations.

L’hétérophonie est un principe fondamental dans l’interprétation musicale du
takht. Elle donne une liberté considérable au musicien qui peut ornementer à sa guise les phrasés mélodiques. Cet esprit de liberté qui souffle dans le takht, le partage total entre les musiciens, la connivence ludique avec le chanteur donne un incomparable cachet personnel à l’œuvre musicale. Une musique en effervescence qui se recrée à chaque représentation dans l’instant partagé avec le public. À l’orée des années 1930, la musique arabe a connu un tournant esthétique : c’est l’avènement des grands orchestres arabes pouvant compter une vingtaine de musiciens ou même plus. L’introduction de plusieurs instruments occidentaux et l’adoption progressive de la notation musicale ont un impact considérable sur l’exécution et l’interprétation du répertoire savant. En effet, le jeu d’orchestre est devenu bien unifié et l’improvisation est limitée aux interventions solo de quelques instrumentistes. L’interprétation des œuvres de la musique savante ou populaire de la première moitié du XXe s’est inéluctablement accommodée au fonctionnement de ce type d’orchestre. Avec l’avènement de l’orchestre arabe, la musique arabe a connu aussi l’arrivée de l’orchestre symphonique et de l’orchestre hybride. Depuis les années quarante, plusieurs générations de compositeurs arabes prônent l’universalisme de la musique arabe en créant des œuvres orchestrales arabes. Dans cette même orientation, certains orchestrateurs ont réécrit les chef-d’œuvres du répertoire traditionnel. Ces derniers ont essayé d’adapter l’écriture orchestrale occidentale aux particularités du langage musical arabe et surtout aux spécificités modales de la musique ara
be.

Nous avons devant nous une réalité qui se représente dans l’interprétation de diverses formations à la même œuvre musicale. L’auditeur arabe est confronté aujourd’hui à écouter la même œuvre non seulement avec de différentes formations mais aussi avec d’autres langages et d’autres timbres, ce qui n’est pas sans impact sur ses codes émotionnels liés à la perception visuelle et auditive de l’œuvre. Le tarab qui représente, à mon avis, le pic de l’extase, est-il lié au langage musical ou à la perception timbrale ? Quels sont les éléments émotionnels liés à chaque formation ? L’effet visuel de la masse orchestrale ne serait pas sans impact sur le code émotionnel avant le commencement même du concert ? La nouvelle interprétation du répertoire antérieur par chaque type d’orchestre changerait-elle l’émotionnel chez l’auditeur ? Quelle influence aurait la mémoire sur le code émotionnel ? Enfin, est-ce que cette diversité enrichit ou au contraire appauvrit les codes émotionnels de l’auditeur ?

mercredi 13 février 2008

Conférence N°3 : "Musique et Emotion"

Infinito nero, estasi in un atto, fragments de Sainte Marie Maddalena recomposés par Salvatore Sciarrino.

Pour un théâtre de l’écoute et de l’absence.


Par
Francesca GUERRASIO
Doctorante en musicologie à Paris IV-Sorbonne.
Rédactrice du quotidien de musique classique Res Musica.

Service Culturel d'Egypte
111 bd St-Michel 75005 Paris

Jeudi 21 février 2008
à partir de 19h

Notre proposition porte sur l’opéra de Salvatore Sciarrino Infinito nero, estasi in un atto[1] qui a pour sujet Maria Maddalena de’ Pazzi[2], mystique de Florence sanctifiée en 1669.

Le livret, de fragments de Le Parole dell’estasi de Sainte Marie Maddalena recomposés par le compositeur, reproduit la réalité environnante. Les sons filtrés par la conscience de la protagoniste ou par elle-même produits lors de son état de transe, d’exaltation ou de délire récréent à la fois le décor et l’action dramatique.

L’histoire raconte que quatre novices répétaient lentement tout ce que la sainte prononçait en vitesse et d’autres quatre notaient sur papier le résultat de ce dicté. La scission entre une énonciation « la plus rapide possible, comme une mitraillette » et le mutisme consécutif (dans lequel la sainte tombait après le flux verbale), la transition spontanée vers le silence, la théâtralité de l’histoire, constituent le matériau de départ pour le travail musical de Salvatore Sciarrino, qui retrouve dans cette « pathologie », les caractéristiques les plus particulières de sa musique et de sa conception d’ « écologie sonore[3] ». Le silence considéré en tant que berceau du son et expérience de vie.

Cet opéra, théâtre de l’écoute et de l’absence, de l’attente irrésolue ou déviée, représente la synthèse de la conception totalisante et gestuelle de la composition selon Salvatore Sciarrino. Sa musique, une construction mélodieuse dans l’infini de la mort qui se caractérise par un travail de soustraction du son jusqu’au silence acoustique illusoire (dans se variables spectrales).

Infinito nero révèle (malgré l’absence de toutes didascalies), la personnalité de Sainte Marie, qui rongée par la douleur, se démène : des gestes et des mouvements tels qu’elle semble se consommer. Le phénomène extatique est reproduit à l’aide de silences textuels, fidèlement transcrits par le novices.

Extrêmement accentué le coté clinique de l’extase : la logorrhée et sa nature ambiguë[4].

La violence des énonciations est reproduite selon un travail systématique de déconstruction et recomposition des actes verbaux en segments fantasmagoriques qui redéfinissent l’action et les lieux de l’histoire en termes de dramaturgie musicale. Glissements micro tonales rapides en double croches, groups irréguliers de notes et “messa di voce”, récréent l’illusion d’une multiplication illimitée de l’espace.

Paronomasies isophoniques et apophoniques, allitérations verbales, répétitions, syllabation intermittente, oxymores, violentes figurations vocales alternées à de nombreux soupirs font émerger l’enfance de la sainte tourmentée et difficile. Ses sentiments profonds de souffrance, de lourdeur et d’étouffement correspondent en dernière instance à ce que chacun de nous peut ressentir dans son existence.

Les impressions synesthésiques, l’absurdité de représenter l’irreprésentable, les différentes propriétés du silence, l’insistance sur les correspondances mots-couleurs, l’idée de concordance des contradictions (l’obscurité/la lumière, le noir/le blanc.), sont telles que le spectateur/auditeur transforme immédiatement en images et en sensations physiques les mots de l‘extase de Sainte Marie, comme dans une sorte d’audition colorée pathologique.

La nudité scénique évoquant un monde onirique et surréel desséché est la condition absolue pour un écoute écologique où la musique s’empare de l’auditeur.



[1] Salvatore Sciarrino, Infinito nero, Ricordi, Milano, 1998.

[2] Lucrezia de’ Pazzi (1566-1607) est le vrai nom de Maria Maddalena de’ Pazzi, sœur carmélitaine de clausure, sanctifiée par le Pope Clément IX le 22 avril 1669.

[3] La conception d’écologie sonore, renvoie à celle d’écologie acoustique (tout endroit naturel intéressant du point de vue acoustique) et de l’écologie de l’écoute. Il est nécessaire pour Sciarrino, de libérer l’oreille des « incrustations », « la réparer, la restaurer » de l’assourdissement puisque, plus qu’une mauvaise oreille, c’est le conditionnement qui rend l’esprit dur et fermé. « Nettoyer l’esprit » signifie faire le vide autour de nous et en nous même, faire sortir ce qu’on connaît pas ; chaque capacité de réception est une forme de capacité créative : percevoir est déjà laisser la place à nos propres sensations. L’espace, en tant que dimension mentale, peut être considéré comme l’espace réel. Salvatore Sciarrino, Carte da suono, Cidim, Novecento Editore, Palermo, 2001.

[4] Dans Le Parole dell’estasi, les visions célestes s’alternent à des suggestions démoniaques. « Alle visioni celesti si sostituirono presenze diaboliche, alla consolazione, aridità e terrori, alla fiduciosa certezza davanti alle visite del divino, dubbio e incredulità ». Maria Maddalena de’ Pazzi, Le Parole dell’estasi, Adelphi, 1984, II ed.


ATERAMUC

Musique et Émotions

Les rapports de la musique avec les émotions humaines, tant débattus dans le cadre de plusieurs séminaires et conférences, semblent faire l'unanimité sur leur complexité et leur grande marge de confusion. L'étude de ces rapports fait appel à une interdisciplinarité conséquente qui, incessamment, tente de rendre compte de l'ampleur de ce domaine. Entre la philosophie, l'esthétique, la psychologie cognitive ou encore la musicologie, un certain nombre de questionnements se posent : comment peut-on approcher l'émotion musicale d'un point de vue méthodologique ? quels sont les liens que l'émotion musicale peuvent entretenir avec le domaine ou le concept de sens et de signification ? quels sont les enjeux psychologiques ou psycho-cognitifs qui peuvent être engendrés à travers l'élucidation de ces liens ? de quelles manières les émotions en musique se manifestent dans les différents contextes socio-culturels ? Il s'agit en l'occurrence d'esquisser la présente problématique sous plusieurs angles de recherche et de remettre à jour son état de question. Il s'agit également d'aborder une des questions les plus complexes relatives au domaine musical ; ce qui permettra d'atterrir sur ses principales difficultés et d'essayer d'aboutir à la décortication du phénomène concerné.

Hamdi Makhlouf
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